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Deux Corps
Deux corps l'un dans l'autre... Et cela n'a pas cessé de grandir, de s'intensifier et de brûler, oh ! ce Feu, dans cette vieille peau de singe. C'est une masse vibratoire plus dense que tout ce que l'on connaît aux fron¬tières de la Matière, comme de l'Énergie qui va tourner en matière ou de la matière qui va se volatiliser en énergie. Qu'est-ce qui va se passer? Comment contenir tout ça? On est perpétuellement comme au bord de... de quoi? Comme un abîme qui voudrait déboucher de l'autre côté de son abîme - mais c'est un abîme terrestre, et ils dansent là-dessus, ils pérorent, ils électronisent, comme des petits pantins d'une ancienne création, comme de vieux hippocampes sous les eaux qui n'ont encore jamais respiré le soleil. Et de l'autre côté... c'est quoi? personne ne le sait, on le sait seulement quand c'est FAIT, quand le dernier rocher du fond de l'abîme a fait éclater son grand air et son soleil et sa Vie neuve, quand quelques vieux ichtyoïdes ont suffisamment étouffé sous les eaux noires et laissé pousser, lentement pousser, quelques cellules brûlantes, appelantes, criantes, alors... Alors c'est là, c'est tout-là, il n'y a pas de « formule » de l'espèce nouvelle; la formule, elle est toute dedans et depuis toujours; c'est la première Semence de toute cette histoire mortelle et embrouillée qui poussait-poussait, pressait pour trouver son grand Soleil et sa Vie enfin et sa fleur d'Amour et de Tendresse. Et combien de morts il fallait, combien de catastrophes fructueuses pour frapper à la dernière Porte. Et ils vont chercher ça au ciel ! Deux corps l'un dans l'autre... Voilà vingtcinq ans que je suis sur la piste de Mère (ou était-ce deux mille cinq cents ans), et ça pousse, ça grandit, c'est une espèce d'impossibilité de chaque jour ou chaque seconde et c'est quand même Possible, c'est une espèce de Miracle mine de rien, et on ne sait RIEN, et pourtant ça SAIT imperturbablement, obstinément au fond de ces millions de cellules - ça VEUT. C'est comme un amoureux qui cherche sa Bien¬Aimée et qui n'aura de cesse qu'il l'ait trouvée. Il y a un Orphée en nous qui cherche son Eurydice à travers toutes les morts et les défaites. Mais il ne doit pas se retourner... Elle est devant ou tout au fond, de l'autre côté des tombes, dans la Légende de l'Avenir, et c'est Elle qui nous fait devenir ce que nous devons être pour l'embrasser dans un corps et nous désaltérer à ses lèvres. Je sais, ô Dieu écrivait Sri Aurobindo en 1913 qu'un jour poindra enfin où l'homme se réveillera et, laissant ses jouets de boue, prendra dans ses mains le soleil et les étoiles et remodèlera les apparences, les lois et les formules d'antan. Et les cieux en pâliront. Et pourquoi donc cette Terre aurait-elle été faite? Il y a un poète bengali (Tagore pour ne pas le nommer) qui disait dans sa langue chantante ce que l'Inde a toujours su depuis des millénaires d'avant Isis (nous traduisons à peu près dans notre langue grammaticale): "Sans nous, qu'est-ce que le Seigneur aurait à aimer, seul dans son paradis! C'est ainsi qu'Il fit ces millions de créatures pour avoir la joie d'aimer... innombrablement." Mais qui s'aperçoit de sa joie et de son amour? qui s'aperçoit de ce qui est là ? - C'est Lui qui aime Lui! C'est Lui qui tâtonne vers Lui... à travers combien d'âges? Même dans la pierre Il est là, disait le V éda. Même la Matière est de la substance de l'Éternel, disait Sri Aurobindo. Ils aiment mieux les dieux crucifiés et les paradis de la Mort. Mais quand on commence à s'apercevoir de ce Toi qui est là, dans un million et un milliard de petites cellules, et dans tout ce qui est autour, c'est un émerveillement et un Sourire au fond, une émotion si profonde, et un Plein, et une Musique qui commence, comme une mer qui se roule dans son propre délice. Et tout se refait à chaque seconde, les âges et les petites libellules qui passent. « L'ère des religions est passée»
disait Mère. C'est le temps des chercheurs. Laventure de la deuxième vie.
7 décembre 98
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